L’acte de manger est devenu complexe et anxiogène
Si, en France, manger reste un plaisir, il est souvent culpabilisé et de plus en plus un casse-tête. Les mangeurs sont assaillis par des injonctions, souvent paradoxales, une excessive « médicalisation » de l’alimentation, une responsabilisation de plus en plus grande, conduisant souvent à une forte culpabilité, ainsi qu’un choix exponentiel de produits à ne plus savoir quoi manger.
Aux États-Unis, pays qui, depuis des décennies, raisonne en termes de nutriments et, pourtant, affiche les résultats les moins probants en matière de santé publique et notamment la plus forte prévalence d’obésité, est née une tendance, la comfort food. Il est désormais fréquent de trouver là-bas des devantures de restaurants et des emballages affichant l’appellation « comfort food ».
En France, cette propension est aujourd’hui en plein essor et se développe jusque dans la cuisine de certains grands chefs, qui la revisitent à leur sauce.
La comfort food, ce sont les aliments ou les plats qui procurent un sentiment de réconfort ou de bien-être dès la première bouchée. Ils sont, en général, familiers et associés à une personne, à un souvenir ou à une odeur en particulier.
Chacun.e la sienne: Il existe autant de comfort foods que de comfort fooders.
- Celles et ceux qui ont besoin de manger quelque chose pour se réconforter après un coup dur ou un mal-être (crise et post-crise du Coronavirus comprises) : ici, la tendance au fast comfort food tend à associer sucre ou sel et gras (chocolat, pâtisserie, snack, fast-food, etc.).
- Celles et ceux qui, souvent en réaction à la cuisine « raisonnable » et autres injonctions nutritionnelles parasites, transgressent gentiment en se faisant plaisir. Ce sont des plaisirs gustatifs personnels ou manger le plus simplement du monde (jambon-beurre, poulet grillé, assiettes de pâtes, etc.).
- Celles et ceux qui, ponctuellement, ont envie de manger des aliments ou des plats qui leur procurent du bien-être, en faisant appel aux souvenirs de l’enfance ou à de moments gustatifs mémorables : la cuisine généreuse de maman ou de mamie, les assiettes de l’enfance (coquillettes au beurre, poisson pané, etc.), les saveurs ou textures préférées, etc.
- Celles et ceux qui souffrent d’hyperphagie, une pathologie qui pousse une personne à manger frénétiquement pour apaiser une souffrance : les aliments sont, pour eux, anesthésiants.
- Et d’autres encore.
Dimensions psychologique et physiologique de la comfort food
La mémoire et les émotions liées à la comfort food
Au moment de manger, c’est d’abord la mémoire qui guide nos choix. Il y a celle (sémantique) qui stocke et restitue nos connaissances génériques (carottes râpées = entrée, fraises = dessert) et celle (épisodique), chargée de nos souvenirs personnels (j’aime, ça n’a pas de goût, ça m’a rendu.e malade, etc.).
La mémoire est surtout rattachée à l’odorat, bien avant la vue et le goût, le sens qui s’avère être le plus chargé d’émotions. Aussi, une odeur rappellera toujours d’abord et davantage un flot d’émotions déjà vécues.
En mangeant un aliment qui nous réconforte ou nous rassure, les émotions positives affluent. Et, tel un vase communiquant, les négatives s’estompent.
C’est la madeleine de Proust ou, dans le film d’animation Ratatouille, la forte émotion ramenant tout droit dans l’enfance le sombre critique Anton Ego, dès la première bouchée de ratatouille, la même que lui préparait sa maman.
Quel est l’effet de la comfort food sur notre organisme ?
Dès l’enfance et pendant l’adolescence, chacun.e de nous construit ses propres catégories d’aliments, élaborées à partir de nos différentes expériences culinaires ou sensorielles.
Parmi elles, nous avons chacun.e notre comfort food ou aliments « doudou » : un chocolat chaud après avoir pris la pluie un après-midi d’hiver, le fondant d’une poire juteuse dont le jus coule entre les doigts, des textures fétiches variables selon l’âge (le croustillant chez les enfants par exemple), etc.
Ces aliments « bien-être » activent une zone du cerveau (récompense) et des hormones (dopamine, ocytocine). Elles nous font nous sentir bien ou mieux.
Le mécanisme neurologique peut être notamment stimulé par l’association glucides/lipides, duo gagnant activateur de la zone de récompense. Ceci reste néanmoins spécifique aux mangeurs stressés, moins propre aux autres qui le sont moins ou pas.
Quoi qu’il en soit, le plaisir, d’abord olfactif puis visuel et savoureux, a un rôle majeur sur l’humeur. Il génère alors une pensée positive par l’alimentation.
Est-il possible de lier nutrition et plaisir ?
Ces aliments sont-ils compatibles avec une alimentation équilibrée ou encore, sont-ils toujours des aliments ultra-transformés ? La réponse mérite d’être nuancée. La comfort food n’est pas toujours synonyme de malbouffe, mais souvent à base de produits simples, fait-maison, subjectivement savoureux. Ils peuvent être un produit peu transformé, comme une glace à la fraise sans additifs, un hamburger maison ou encore, un plat de l’enfance (purée-jambon, coquillettes au beurre).
Les points d’attention à prendre en compte
Attention néanmoins au cercle vicieux
Plus on a tendance à avoir une alimentation de mauvaise qualité, plus les besoins seront fréquents d’aliments riches. Le contraire fonctionne très bien : l’appétence d’un mangeur est conditionnée par ses habitudes alimentaires.
Envie ou besoin ?
Le besoin de comfort food peut révéler enfin un signe de carences. En effet, une forte et fréquente appétence pour le chocolat ou pour le sucre peut signaler un manque de magnésium pour le premier, de tryptophane pour le second. De même, se nourrir régulièrement d’aliments riches en sucres, en graisses et en sel conduit l’organisme à des carences nutritionnelles (fibres, vitamines, minéraux) et, à terme, à quantité de pathologies chroniques. Il est alors indiqué de rééquilibrer son alimentation.
Trouver du plaisir entre comfort et healthy food
Cette tendance nous rappelle qu’il est primordial de prendre du plaisir à manger. Sans compter les calories ni culpabiliser à faire un écart de temps en temps.
L’équilibre est justement d’associer saveurs, plaisir et santé, qui passe très raisonnablement par un cheat meal, un repas transgressif ou joker hebdomadaire, afin de modérer le gène archaïque de la disette (et du stockage des graisses). C’est l’excès qui est néfaste : trop attention ou pas assez, trop fréquemment ou jamais.
La comfort food est aussi une bonne chose pour préserver l’hétérogénéité alimentaire, face à la standardisation menaçante des aliments et des goûts générés par l’industrie agroalimentaire et les Fast-Food.
En définitive, plaisir et équilibre alimentaire peuvent être tout à fait compatibles dès lors que l’on mange de tout, avec modération, tout en se fiant, si besoin, à l’application Siga (téléchargeable sur Google Play ou App Store).