Confinement et alimentation : quels changements dans les habitudes des Français ?

Le confinement a grandement bouleversé les habitudes de consommation des Français.e.s, particulièrement dans le champ de l’alimentation, depuis l’approvisionnement jusqu’aux comportements alimentaires. Plus de deux mois après le déconfinement, plusieurs enquêtes et données relatives au confinement révèlent un certain nombre de tendances. Celles de « l’après-crise » requièrent encore un peu de recul, bien que les premiers traits semblent pouvoir d’ores et déjà être esquissés.

Comme souvent, les premiers résultats font état d’une variété des situations, en fonction de la situation socio-démographique et économique, du lieu de vie, mais aussi, de l’état psychologique des individus (niveau de stress et d’anxiété, terrain dépressif).

Expansion et récession

Les courses

L’approvisionnement a connu une considérable limitation des lieux de ravitaillement habituels. Seuls les commerces dits indispensables ont été autorisés à ouvrir, soit les supermarchés, les boulangeries et les épiceries. Les marchés alimentaires, eux, ont dû fermer. En zone rurale comme urbaine, par peur du virus, par lassitude du temps d’attente à faire la queue ou encore, compte tenu des ruptures de stock et des problèmes logistiques des drives dus à la hausse subite de la demande, les consommateurs ont été contraints de trouver des alternatives en se tournant vers d’autres moyens d’approvisionnement, notamment pour se procurer des produits frais.

La crise a indéniablement donné un coup d’accélérateur à l’économie circulaire. La croissance des ventes en réseaux et via Internet (circuit court, voire très court, maraîchers notamment, plateformes et drives « paysans », etc.) a été exponentielle. À plus grande échelle, le nombre de livraisons à domicile a, lui-aussi, explosé.

La méfiance due au contexte a pu s’étendre aussi à la qualité des produits : ceux issus de l’agriculture biologique ont eu le vent en poupe et vu leur vente en forte hausse, en supermarchés comme en circuit court. Les enquêtes révèlent une certaine prise de conscience de la part des consommateurs pendant le confinement : plus favorables à la qualité des produits, à une alimentation plus durable et plus respectueuse à la fois des hommes et de l’environnement, mais aussi plus solidaires envers les producteurs locaux. Le confinement a donné vie à de nouveaux profils d’alimentation et le déconfinement, en levant la contrainte, fait revenir les habitudes au galop.

En sens inverse, la crise a entraîné un net recul de l’élan vers le zéro déchet, en obligeant au 100 % jetable et au 0 % contenant réutilisable, générant une période bien peu propice à la lutte contre le gaspillage.

Dans la cuisine et à table

Cette période a eu le mérite de dégager du temps et beaucoup l’ont pris pour cuisiner. La preuve en est du fort et inhabituel trafic des consultations de fiches de recettes sur Internet. Les Français.e.s ont, pour la plupart, (re)découvert le plaisir de cuisiner « maison » et du fait par eux-mêmes (DIY) : plats familiaux, pain, gâteaux, etc. Ils ont aussi passé plus de temps à table avec tous les membres de la famille présents, de fait, à chaque repas.

Le revers a été la lassitude, jusqu’à l’exaspération, de devoir préparer chaque repas, chaque jour pour se nourrir soi et sustenter les siens. Une routine devenue une contrainte passé le plaisir des premières semaines pour un certain nombre de cuisinièr.e.s.

Dans l’assiette

Comme le quotidien et les modes d’approvisionnement, les habitudes alimentaires ont elles aussi été bouleversées : repas plus copieux, augmentation de l’apport énergétique et du grignotage (dus à l’ennui et/ou au stress, pratiques de compensation), plus forte proportion d’aliments ultra-transformés, consommation de sucre anti-stress, ennui ou frustration type comfort food (plus de sucreries, de biscuits, de gâteaux et d’alcool), apéros-grignotages plus réguliers, etc. La consommation de produits frais (fruits et poisson en particulier) a, en revanche, diminué de manière non négligeable.

Le confinement aurait entraîné, en moyenne, une prise de poids de 2,5 kg par individu. Celle-ci n’a pas concerné tout le monde, et notamment les plus favorisé.e.s, dont la cuisine « maison » s’attachait à compenser la baisse d’activité physique, afin justement de prévenir une potentielle prise de poids.

Dans ses baskets

En temps de confinement, plus personne ne se pressait le matin pour déposer les enfants à l’école, puis pour se rendre sur son lieu de travail ou à ses rendez-vous, à pied, en vélo, en voiture ou en transport en commun ; de même, en fin de journée, pour faire le chemin inverse. Les salles de sport ont fermé et l’activité physique a diminué de plus de moitié. Certes, les coureurs étaient plus nombreux, mais surtout plus visibles dans les villes vides à des heures, en temps normal, de bureau. La situation socio-professionnelle et l’âge ont pu être des facteurs déterminants dans cette pratique, en pleine expansion en apparence seulement.

Si le temps actif a réduit comme neige au soleil, celui à passer en position assise s’est considérablement allongé, avec une moyenne de… 7 heures par jour. Cette sédentarité forcée a pu être appréciable les premiers jours, elle l’a été beaucoup moins les suivants.

Qu’en est-il de « l’après » ?

Le confinement a rapporté un certain nombre de volontés. Mais les premiers chiffres du « monde d’après » montrent, malgré tout, un retour aux anciennes habitudes, avec toutefois, un éveil des consciences.

Les 18-34 ans (étude Konbini) ont décrété « sujets de prédilection » pour le « monde d’après » la crise climatique et environnementale, ainsi que le gaspillage des ressources. Ils aimeraient s’engager pour réduire leur consommation et leur empreinte écologique. Et ce notamment en consommant plus local, tout en avouant faire un certain nombre d’écarts.

Intentions et résolutions pour l’alimentation vont-elles être suivies des faits ?

Une question se pose : qu’en sera-t-il de l’essor du circuit court entre sites de production et ceux de distribution, associé à celui du zéro déchet ? Vont-ils, le premier, perdurer et le second, renaître de ses cendres et se renforcer ? Le confinement aura eu le mérite de mettre en lumière la multitude des modèles d’approvisionnement en dehors des grandes surfaces : vente directe, « drives » fermiers, AMAP, etc.

Les premières estimations donnent une remontée des biens fabriqués et un retour aux habitudes de consommation d’avant la crise. Un feu de paille ? Difficile à dire pour l’heure, sinon qu’une fois le confinement levé, jusqu’à 75 % des nouveaux clients du circuit court se sont envolés pour laisser place à la clientèle d’avant la crise (issue d’une partie infime de la population et de la classe moyenne principalement) et que les parkings d’hypermarchés se sont bien vite remplis. S’engager politiquement en consommant localement ou gagner du temps en faisant l’ensemble de ses courses au même endroit semblent séparer les partisan.e.s de la qualité de la nourriture, prioritaire pour les uns, secondaire pour les autres.

Le fond du problème ne serait-il pas plutôt le temps ? En avoir ou le prendre, en priorisant les tâches, afin de choisir ses produits et de les cuisiner ? La transition écologique ne passerait-elle pas par un gain de temps, une transition qui pourrait s’accélérer en ralentissant les rythmes de vie, comme au temps du confinement ? Reste à savoir si l’initiative doit venir des individus ou des politiques, ou des deux, en fonction des priorités de chacun.

Julie Lioré

L'auteur :
Julie Lioré

Julie Lioré est docteure en anthropologie et naturopathe.

Après plusieurs années de recherches appliquées sur les comportements alimentaires des jeunes, l’approche préventive et holistique de la naturopathie est venue compléter l’expertise du point de vue du corps et de la santé.

De cette approche transversale est née L’École des Aliments, un blog de pédagogie alimentaire sur lequel sont publiés des articles autour de l’interdépendance entre aliment, corps, santé et environnement.

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