Cet article sur l’effet matrice est une synthèse de la publication rédigée par le Dr. Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et holistique à l’INRA : L’effet matrice des aliments, un nouveau concept.
Définition de l’effet matrice
Le potentiel santé d’un aliment continue d’être défini par sa seule composition nutritionnelle, ce que les Anglo-saxons nomment nutritionism (ou le réductionnisme nutritionnel en français). Pourtant, l’effet « matrice » fait l’objet d’études depuis la fin des années 1990.
Il est défini ainsi : deux aliments n’ont pas le même impact sur l’organisme, et par extension sur la santé, bien qu’ils aient une composition strictement identique, à partir du moment où ils ont une matrice (mater, mère) différente.
Celle-ci étant l’interaction complexe ou assemblage entre les différents constituants, à savoir, les nutriments d’un aliment (eau, glucides, lipides, protéines, vitamines, minéraux, fibres…).
Le potentiel santé de l’effet matrice
Il existe plusieurs niveaux de structure dans la matrice alimentaire :
- moléculaire (nature des molécules, leur arrangement tridimensionnel, cristallinité, degré de polymérisation),
- microscopique (interactions entre les nutriments, par exemple l’amidon avec le gluten dans les pâtes alimentaires),
- macroscopique (forme, couleur de l’aliment, taille des particules post-mastication).
Les procédés technologiques jouent, eux-aussi, un rôle important dans cette matrice, en lui attribuant ses propriétés (forme, couleur, densité, porosité, interaction entre les nutriments, degré de gélatinisation des amidons, dénaturation des protéines…).
Les procédés technologiques peuvent aussi modifier la composition nutritionnelle. Par conséquent, le degré de transformation des aliments est un élément essentiel, puisqu’il conditionne leur potentiel santé, incluant effets « matrice » et « composition ».
Une question de biodisponibilité des nutriments
La structure de la matrice alimentaire joue un rôle essentiel sur la biodisponibilité des nutriments.
Elle a un impact sur leur vitesse d’absorption par l’organisme qui elle-même a un effet sur le métabolisme ultérieur des nutriments, par exemple sur l’index glycémique selon le degré de déstructuration de la matrice et/ou le degré de cristallinité/gélatinisation de l’amidon.
Effet matrice des aliments : l’exemple de la pomme
Prenons l’exemple d’une pomme. Consommée entière, elle entraîne une meilleure réponse insulinique qu’une compote de pommes (produit mou, mastiqué moins longtemps et libérant plus vite les sucres dans l’organisme) et bien meilleure encore qu’un jus de pommes (matrice liquide, la réponse de satiété est minimale), deux produits fabriqués à partir des mêmes pommes.
La problématique n’est donc pas celle de la composition nutritionnelle de la pomme, mais bien de sa matrice et de sa structure physique résultant du degré de transformation.
Prenons un autre exemple, celui des antioxydants naturellement présents dans les fruits et légumes.
Dans la matrice, les composés phytochimiques combinés permettent d’obtenir des bénéfices sur la santé, notamment en raison de leur action synergique et complémentaire. A l’inverse, dans les compléments – ne contenant que quelques antioxydants, voire seulement un – l’effet de synergie est diminué et la vitesse d’absorption accéléré.
Nutriments « lents » et « rapides »
Par ailleurs, les mêmes effets sont observés avec la fraction protéique, entre caséines de lait et lactosérum.
Ces protéines, respectivement « lentes » et « rapides », ont des conséquences distinctes sur l’anabolisme protéique, en entraînant une réponse en acides aminés sanguins plus ou moins lente et étalée dans le temps, avec des conséquences sur l’anabolisme protéique dans l’organisme.
De même concernant les micronutriments : la fraction liée dans la matrice tend à être libérée plus lentement et progressivement dans le sang que la fraction libre, caractéristique des compléments. Ainsi, la biodisponibilité du calcium dans les produits laitiers varie selon le type de matrice laitière, à savoir lait, yaourt ou fromage.
Les calories aux matrices différentes seront libérées, elles-aussi, de manière différente dans l’organisme, puisque l’effet métabolique fonctionnera différemment.
Effet matrice et effet satiétogène
L’effet satiétogène, paramètre trop longtemps sous-estimé au regard de la santé, et pourtant crucial par rapport aux problèmes d’obésité, entraîne, selon la matrice d’un aliment, une réponse minimale (aliments visqueux, semi-solides ou liquides) ou maximale (aliments solides, entiers qui demandent plus de mastication).
Mastication et contact avec la muqueuse digestive sont requis pour une meilleure sécrétion des hormones de satiété.
Ainsi globalement, plus un aliment est transformé, plus son impact glycémique est élevé, moins il est satiétogène (notamment pour les féculents) et plus il entraînera du grignotage entre les repas. Il y a donc relation triangulaire entre satiété, glycémie et degré de transformation.
Les fibres, enfin, jouent un grand rôle dans l’effet matrice. En procurant de la structure aux produits végétaux, elles favorisent la mastication, et donc la satiété.
En revanche, l’enrichissement d’aliments très raffinés avec des extraits de fibres n’a pas le même effet nutritionnel que celui des fibres naturellement présentes dans la matrice d’un aliment entier. En effet cet enrichissement ne compense pas la perte de l’effet matrice par raffinage.
Approche réductionniste…
La perspective réductionniste est une approche uniquement compositionnelle, qui veut qu’un aliment soit la somme de ses nutriments. Elle a conduit à des procédés industriels, tels que le raffinage excessif et/ou le fractionnement de produits naturels en ingrédients isolés qui sont ensuite recombinés.
L’industrie agro-alimentaire n’a cessé de créer de nouvelles interactions, des matrices artificielles, des produits aux profils nutritionnels dégradés, moins rassasiants et hyperglycémiants. L’explosion des prévalences de maladies chroniques n’est donc pas étrangère à cette pensée réductionniste extrême qui tend à tout fractionner.
Il ne fait plus de doutes que ce paradigme est insuffisant pour correctement définir le potentiel santé d’un aliment et ne peut permettre de lutter efficacement contre les pathologies chroniques, dites d’industrialisation.
Les recommandations nutritionnelles, élaborées à partir de cette démarche, et sans la moindre référence à l’effet matrice, donc au degré de transformation alimentaire et de déstructuration des aliments naturels, n’a pas permis de résoudre le problème endémique des dérégulations métaboliques (par exemple obésité, surpoids, diabète de type 2, syndrome métabolique et/ou stéatose hépatique).
… vs perspective holistique
À l’inverse, la perspective holistique, pour laquelle le tout est supérieur à la somme des parties, en raison des interactions et de la synergie entre les éléments, gagnerait à devenir incontournable pour attester du potentiel santé d’un aliment.
Il est aujourd’hui avéré que l’effet matrice d’un aliment participe bien davantage de son action sur la santé que sa seule composition nutritionnelle.
Aussi, est-il devenu urgent de considérer la matrice alimentaire dans le cadre des recommandations nutritionnelles, afin de prévenir efficacement, et de lutter contre les maladies chroniques liées à l’industrialisation.
En définitive, il ne s’agit pas d’écarter une approche pour en privilégier une autre, mais de combiner les deux, réductionniste et holistique, quantitative et qualitative, afin de parvenir à une meilleure prévention des maladies chroniques.
Quel régime alimentaire préservant l’effet matrice ?
Prendre en compte l’effet matrice dans notre alimentation c’est adhérer à la règle des 3V pour Végétal, Vrai, Varié. Il s’agit de revenir à plus de produits végétaux peu transformés, dont les matrice ont été dégradées le moins possible : fruits et légumes entiers, céréales complètes, légumineuses et fruits à coque.
Notre webinar sur l’effet matrice
Retrouvez la vidéo-conférence Siga du 7 mai 2020 sur l’effet matrice, présentée par Anthony Fardet.
Je partage complètement votre avis mais comment prendre en compte l’effet matrice dans les score ?
Scan up prend en compte l’ultra transformation par rapport à la composition et au nombre d’additifs mais comment prendre en compte process ?
Bonjour Dominique.
L’analyse de l’ultra-transformation présentée dans ScanUp est celle fournie par Siga car l’équipe ScanUp ne calcule pas ce score elle-même. Le score Siga prend précisément en compte l’effet matrice des ingrédients et donc des aliments formulés (=sommes d’ingrédients). Il distingue un fruit entier (score 1) de son jus (score 2), de son jus concentré (score 3), de la pectine isolée issue de la pomme (score 5). Autrement dit, il y a bien un potentiel santé détérioré entre le fruit cru entier, le jus et un composé isolé de la pomme originelle.
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