Nous avons tous et toutes entendu que « consommer des fibres c’est bon pour la santé » ! En effet, beaucoup d’études montrent la nécessité de consommer des fibres solubles et insolubles pour avoir un bon microbiote et donc notamment un système digestif en bonne santé. Mais qu’en est il réellement ? La consommation de fibres est-elle toujours bonne pour la santé?
L’impact de la consommation de fibres sur la santé
Afin de réduire le risque de maladies chroniques, il est recommandé d’avoir un apport régulier en fibres que ce soit via la consommation de céréales, de fruits, ou de légumes…
Dans leur revue de la littérature, Maina et coll. (2021) soulignent l’importance de la consommation quotidienne d’aliments à base de céréales complètes ; celles-ci étant riches en fibres. Les effets bénéfiques sur la santé de la consommation de ce type de fibres est bien démontré et par conséquent leur consommation est fortement recommandée. En effet, consommer ce type de fibres aurait un véritable potentiel santé, c’est à dire que celle-ci aurait un effet « protecteur »,.
Ainsi leur consommation serait associée à une diminution de l’apparition des maladies chroniques, à une diminution du risque de développer des maladies coronariennes, des troubles cardiaques, des désordres intestinaux, mais aussi à une diminution du risque de développer des pathologies métaboliques comme le diabète mais aussi une obésité. Leur consommation irait même jusqu’à inverser la courbe de mortalité.
Cela serait notamment dû au fait que les fibres contenues dans les céréales, comme celles que l’on retrouvent par exemple dans le son de blé, ont une influence sur la digestion des aliments (cela tout au long du tractus gastro-intestinal), l’absorption des nutriments et autres réactions physiologiques. De ce fait, certaines allégations santé font aujourd’hui consensus comme le fait que la consommation de seigle, de son de blé et / ou d’avoine, permettent soit de maintenir une fonction intestinale normale, soit d’augmenter le volume des selles .
L’industrie agro alimentaire s’est donc tout naturellement emparée de ce « phénomène » et a enrichi certains de ces aliments en fibres.
L’industrie agro-alimentaire et la consommation d’aliments ultra-transformés
Afin de promouvoir le bénéfice « santé » des aliments qu’elle propose à la vente, et par conséquent afin d’influencer le choix du consommateur en faveur de leurs produits , les industries agro-alimentaires ont enrichi certains de leurs aliments en fibres.
Un des problèmes majeurs rencontrés n’est pas le fait de vouloir « enrichir » les aliments mais plus la manière dont l’enrichissent se fait (quels types de fibres) et le type d’aliments enrichis. En effet, les aliments « enrichis » en fibres sont majoritairement des aliments ultra-transformés (AUT), dont l’offre a considérablement augmenté depuis quelques années. Or on connait aujourd’hui l’impact négatif de la consommation de ce type d’aliments sur la santé.
Leur consommation augmente…
Non seulement, le développement de maladies métaboliques, de maladies cardio-vasculaires, de cancers, de diabète de type 2 mais favorise aussi une augmentation de la mortalité, comme le montre l’étude NutriNet-santé, réalisée sur un échantillon et sous-échantillons allant de 26 000 à 100 000 participants, mise en place en 2009 et actuellement encore en cours.
Cela est dû au fait que la consommation d’aliments ultra-transformés est associée à des régimes alimentaires peu sains, qui poussent à la surconsommation d’aliments et donc à une prise calorique plus importante, si on compare à régime égal en macronutriments et fibres , avec un régime constitué d’aliments peu transformés.
La consommation d’aliments peu transformés, voire brut, comme le préconise Anthony Fardet avec le règle des 3V serait donc probablement une « stratégie efficace » dans la prévention santé.
Les produits ultra-transformés (AUT) sont des produits ayant subi d’importantes transformations dont les transformations ont impacté la matrice de l’aliment lui-même. Or « l’effet matrice » de l’aliment comme le souligne notamment Anthony Fardet, est d’une importance capitale dans le capital santé de cet aliment.
L’ajout de fibres dans les aliments …
Qu’en est-il des fibres purifiées et ajoutées aux aliments ? C’est une question légitime que l’on est en droit de se poser. Le raisonnement des industriels est le suivant : si les fibres, c’est « bon pour l’organisme », alors on peut les isoler et enrichir les aliments avec !
Le problème majeur de l’ajout de fibres dans les aliments par les industries agro-alimentaires, n’est pas « l’ajout » de fibres en lui-même mais bien le type de fibres ajoutées et la manière dont elles ont été ajoutées. En effet, ce sont des fibres « non naturelles », il s’agit d’un seul type de fibres (ex : inuline) qui de surcroît sont « sorties » de leur matrice, c’est à dire de leur contexte naturel.
Or un seul type de fibres qui serait consommées de manière isolée, pourrait avoir l’effet inverse que l’effet escompté, c’est à dire être nocif pour la santé. Ainsi l’ajout de fibres dans les aliments comme l’explique l’article de Siga pourrait être une « fausse bonne idée ».
En effet, comme le souligne l’auteur, Julien Hernandez : « la consommation d’inuline isolée engendrerait une dysbiose, c’est-à-dire un déséquilibre néfaste entre les bonnes et les mauvaises bactéries au niveau du microbiote. Ce déséquilibre conduirait ensuite à une fermentation excessive et à une diminution drastique d’acide biliaire (qui nous aide à digérer les graisses), puis à un cancer hépatique ». Cet état de fait quelque peu alarmant a été montré chez le rat ayant un régime riche en graisse; chez qui a été mis en évidence, lors d’une récente étude, que l’utilisation de fibre isolée, notamment de l’inuline augmenterait le risque de de développer un hépatocarcinome.
Le bénéfice des fibres n’est valable que si elles sont consommées dans leur matrice et non consommées isolément.
En effet, il est techniquement possible d’isoler les fibres et d’ enrichir les aliments avec ; mais encore une fois c’est oublier l’effet « matrice » et toutes les interactions entre les fibres et les nutriments en son sein. Or ce sont ces interactions qui sont importantes, puisque en purifiant et ajoutant les fibres de manière synthétique on change leurs propriétés physico-chimiques, comme par exemple leur capacité de fermentation dans le côlon.
Cet état de fait rend le travail particulièrement complexe pour l’induite agro-alimentaire, notamment pour les céréales / graines pour lesquelles on sait que pour pouvoir être consommées elles doivent être transformées. Il est donc indispensable pour ces industries de comprendre « l’effet matrice » afin de préserver au maximum les effets bénéfiques des fibres sur la santé.
Mais jusqu’où peuvent-ils aller ? « Quel degré de transformation est acceptable pour le consommateur sans que cela ne gêne sa santé » ?
Les bienfaits de la matrice de l’aliment sur la santé
Comme le souligne Anthony Fardet dans son article, le potentiel santé d’un aliment est trop souvent jugé sur la seule base de sa composition nutritionnelle. Or plus que sa composition nutritionnelle c’est l’effet matrice de l’aliment qu’il faut prendre en compte :« c’est aussi son effet « matrice » qui joue des rôles essentiels sur la satiété et la vitesse de libération des nutriments dans l’organisme ». « Cette vision holistique de l’aliment considère alors que le tout est supérieur à la somme des parties et qu’un aliment n’est pas qu’une somme de nutriments » ; ce qui n’est pas sans rappeler la Gestalt théorie bien connue en psychologie cognitive et dont l’une des lois spécifie que « le tout est supérieur à la somme de ses parties ».
Ce sont donc les propriétés physico-chimiques, d’un aliment qui sont essentielles pour expliquer les effets bénéfiques sur la santé, autrement dit son potentiel santé. Ce sont notamment ces propriétés physico-chimiques qui vont jouer un rôle sur le phénomène de satiété, sur l’assimilation des nutriments et leur « traitement » au sein de l’organisme humain.
C’est d’ailleurs, ce qui explique la différence entre la prise d’un fruit sous forme brut, sous forme de compote ou sous forme de jus. De par leur mode d’ingestion, les effets ne seront pas les mêmes sur le métabolisme et notamment sur la glycémie. De plus, si on reprend l’exemple du fruit, un fruit brut demandera un certain de effort de mastication, ce qui ne sera pas le cas pour la compote ou le jus ; or plus l’effort de mastication sera important, plus les hormones de satiété seront stimulées.
Pour conclure
Pour résumer, le potentiel santé d’un aliment ne se résume pas seulement à sa composition nutritionnelle mais relève de la combinaison entre cette composition nutritionnelle et l’effet « matrice » de l’aliment lui-même. On ne devrait donc pas considérer l’aliment comme étant seulement la somme des différentes parties qui le composent mais comme un tout ; un tout qui serait supérieur à cette somme ; comme le préconise Anthony Fardet avec « sa vision » holistique de l’aliment. En effet, considérer l’aliment comme seulement une « somme de nutriments » est limitatif par rapport à ce qu’est réellement l’aliment, voire cette vision est erronée.
Supplémenter un aliment , comme le font, par exemple, les industries agro-alimentaires, avec un seul type de fibres à des doses « importantes » car supposées être protectrices pour la santé, revient à changer les propriétés physico-chimiques de l’aliment en question. Ce qui ne sera pas sans conséquences sur la santé de l’individu. De nombreuses études sur le sujet, ont d’ailleurs montré que ce type de « superaliment » non seulement n’améliorent pas la santé mais pourraient même avoir des effets délétères,.
Bibliographie
Auvergne, C. F. (2011). Matrice alimentaire et satiété. Appetite, 57(2).