Le concept de « perturbateurs endocriniens » (PE) a vu le jour en 1991, à l’occasion d’un colloque scientifique. En 1996, l’Union européenne ouvre ce dossier et l’OMS émet une première définition en 2002. Depuis, la question fait débat, les prises de conscience se multiplient et les sonnettes d’alarme sont tirées.
Mais la controverse est aussi de plus en plus soulevée. Seuls quelques points font l’unanimité. L’alimentation est la première source de contamination en perturbateurs endocriniens, des substances exogènes (qui proviennent de l’extérieur de l’organisme) pouvant être d’origine naturelle ou synthétique.
Quant à leur évaluation, elle est un casse-tête pour la toxicologie classique. Les sources d’exposition, les niveaux de concentration et les conséquences sur la santé sont encore difficiles à maîtriser et, de fait, complexes à étudier. Les méthodes d’évaluation des risques, notamment à long terme, et les connaissances actuelles se heurtent aux limites de la recherche.
Absence de consensus et conflits d’intérêts
En revanche, aucune définition, ni classification exhaustive, ni lien entre dose et effet ne parviennent à faire consensus, malgré un nombre conséquent d’études et de substances d’origine et de nature très diverses.
Seules trois catégories, relatives à leur origine (hormones naturelles ou synthétiques, substances d’origine naturelle et de synthèse), mettent tout le monde d’accord. Ces catégories totalisent près de 800 substances, probablement davantage, interférant avec le système hormonal. Or, la plupart de ces substances sont, pour l’heure, seulement « suspectées » d’être des perturbateurs endocriniens.
La question des perturbateurs endocriniens est surtout au cœur de conflits d’intérêts. L’industrie chimique tend à brouiller le débat et à minimiser l’impact de ces substances sur la santé. L’opinion publique et les décideurs sont maintenus dans le doute, les prises de décisions ralenties et les opposants affaiblis.
Les mesures relatives à l’exposition aux perturbateurs endocriniens par voie alimentaire sont quasiment inexistantes dans les décisions politiques. Pourtant, une récente étude a montré que deux tiers des pesticides détectés dans l’alimentation européenne seraient des perturbateurs endocriniens. En attendant, le niveau de preuve demandé par les États membres reste très élevé. Leur toxicité est, en définitive, bien difficile à prouver.
Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?
Comprendre les perturbateurs endocriniens
Un perturbateur endocrinien est une molécule exogène, naturelle ou de synthèse, dont la structure est proche d’une hormone. Aussi y a-t-il interférence potentielle avec notre système hormonal.
- Les perturbateurs endocriniens peuvent imiter l’action d’une hormone, en se substituant à elle, et entraîner ainsi une réponse inadaptée.
- Ils peuvent aussi bloquer ou saturer les récepteurs hormonaux, et empêcher la transmission du signal hormonal au niveau des récepteurs spécifiques à chaque hormone.
- Ils peuvent enfin dérégler la synthèse, le transport, la régulation, les modes d’action, la dégradation et l’excrétion des hormones. Il y a alors perturbation endocrinienne.
Comment les perturbateurs endocriniens agissent sur notre organisme
Le système endocrinien regroupe tous les organes qui produisent des hormones. Celles-ci sont libérées dans le sang pour agir à distance sur un grand nombre de fonctions de l’organisme (reproduction, développement cérébral ou sexuel, croissance, métabolisme, etc). C’est un appareil complexe de régulation et de communication entre les organes, permettant le bon fonctionnement du corps. Ces fonctions sont nombreuses :
- production de spermatozoïdes, reproduction ou fertilité masculine comme féminine,
- croissance (développement du fœtus, de l’enfant, de l’adolescent et déclenchement de la puberté),
- régulation du métabolisme,
- gestion du cycle menstruel, de la glycémie, de la température interne, du rythme cardiaque, de la tension artérielle, du sommeil, des émotions, etc.
La définition des perturbateurs endocriniens, nous le disions, ne parvient pas à faire consensus. La dernière en date (juin 2016) fait état de « substance [ayant] des effets indésirables sur la santé humaine et qui agit sur le système hormonal, et dont le lien entre les deux est prouvé. ». Reste à le prouver et c’est bien là que le bas blesse.
La définition de l’OMS inclut le concept de « substance nuisible agissant seule ou associée à d’autres » (effet cocktail ou exposition multifactorielle). Elle évoque aussi des effets délétères au niveau des populations et de leur descendance (effets transgénérationnels).
D’autres paramètres sont à mentionner : périodes de vulnérabilité (femmes enceintes ou allaitantes, nourrissons, enfants, adolescents) et relation dose/effet (effet qui n’est pas nécessairement proportionnel à la dose).
Expositions directes et indirectes
L’exposition aux perturbateurs endocriniens passe par les voies digestives, respiratoires et percutanées. Le cordon ombilical et le liquide amniotique in utero sont aussi concernés, comme la bio-accumulation dans les tissus et dans les sols. En définitive, l’effet toxique des perturbateurs endocriniens est surtout indirect, par les profondes modifications physiologiques qu’ils entraînent. Ils restent néanmoins autorisés par la réglementation, exploités par les industriels et tolérés par les pouvoirs publics.
De nombreuses sources de perturbateurs endocriniens dans l’alimentation
Il en existe une grande diversité ! Qu’il s’agisse de composés naturels (soja, métaux lourds) ou de substances de synthèse (produits phytosanitaires et additifs alimentaires notamment). Quant aux sources d’exposition, certaines sont directes (soja, additifs alimentaires, résidus de pesticides, eau du robinet). D’autres sont indirectes (produits phytosanitaires, contenants alimentaires en plastique, ustensiles de cuisine, revêtements de conserves, canettes et poêles anti-adhésives).
Des molécules naturellement présentes dans certains aliments
On en trouve naturellement présents dans certains aliments comme le soja. Cette légumineuse a des effets œstrogéniques, dus à sa teneur élevée en isoflavones. C’est-à-dire qu’elle tend à diminuer le taux de testostérone chez les hommes et à augmenter celui d’œstrogène chez les femmes. Cependant, ces effets ne sont pas prouvés comme étant délétères pour la santé. Bien qu’ayant une activité endocrine, ils ne correspondent donc pas parfaitement à la définition des perturbateurs endocriniens établie par l’OMS.
D’autres perturbateurs endocriniens sont présents dans l’alimentation, de synthèse cette fois. Il s’agit de certains additifs alimentaires, comme le BHA (E320) et le BHT (E321), deux antioxydants ajoutés aux céréales du petit déjeuner ultra-transformées pour éviter que les graisses ne rancissent. Les nanoparticules sont aussi suspectées.
Les pesticides, source importante de perturbateurs endocriniens
Les pesticides de synthèse sont une source indirecte. Leurs résidus sont directement présents dans les fruits et légumes issus de l’agriculture conventionnelle. Ils sont une source majeure d’exposition dans l’alimentation. Si la preuve de leur toxicité résiste sous la pression des lobbies, ils sont largement incriminés d’être à l’origine de perturbations endocriniennes.
L’eau, un vecteur sous-estimé
Les eaux de surface françaises, à travers elles l’eau du robinet, sont à elles seules un concentré de perturbateurs endocriniens. Rejets de pesticides dans les nappes phréatiques, hormones de synthèse (contraceptifs) évacuées par les urines que les stations d’épuration ne filtrent pas complètement, ou encore les conduites d’eau tapissées de BPA (par ailleurs interdit dans les contenants alimentaires depuis 2015).
Les perturbateurs endocriniens dans l’agriculture conventionnelle
L’agriculture conventionnelle traite chimiquement ses cultures de fruits et légumes avec quantité de produits phytosanitaires : pesticides, fongicides et herbicides hautement soupçonnés. Le ruissellement des terres agricoles dans les nappes phréatiques, ainsi que l’incinération et le rejet de déchets, chargent l’eau et nourriture en perturbateurs endocriniens.
La viande produite en conventionnelle est issue d’animaux le plus souvent nourris aux OGM. Les poissons, et notamment les plus gros (chaîne alimentaire) et les plus gras (les tissus graisseux stockent les toxiques) sont aujourd’hui chargés en métaux lourds (mercure, arsenic, plomb), mais aussi en polluants chimiques contenus dans les mers.
Les ustensiles de cuisine peuvent aussi être mis en cause
Le matériel culinaire peut aussi contenir des perturbateurs endocriniens. Contenants et ustensiles en plastique (bouteilles d’eau, boîtes, biberons, barquettes de plats préparés), revêtements alimentaires (boîtes de conserve, boîtes de lait maternisé, poêles anti-adhésives), etc. Tous contiennent des perturbateurs endocriniens, dont des Bisphénols (les F et S autorisés sont présumés pires que les A désormais interdits).
Si le contenu est cru ou rempli à froid, la micro-contamination peut être évitée, la chaleur en revanche augmente fortement les risques de migration dans les aliments, de même que le réchauffage au micro-ondes à même le contenant en plastique.
Quelles sont les conséquences sanitaires de leur présence dans l’alimentation ?
Mécanisme d’action des perturbateurs endocriniens sur la santé
L’absence de consensus est aussi dû à la polémique autour de leurs modalités d’action. Ils sont le plus souvent « suspectés » d’être en cause, leur action est plus rarement « présumée » ou véritablement « avérée ». Pourtant les conséquences sont de plus en plus évidentes et surtout très préoccupantes pour un grand nombre de spécialistes et d’ONG.
Les perturbateurs endocriniens seraient à l’origine d’actions reprotoxique, cancérogène, obésogène, allergène ou encore mutagène. Ils ne sont certes pas la cause directe d’une maladie ou du développement d’une malformation, mais ont un rôle catalyseur qui peut déclencher un ensemble de réactions dans l’organisme, révélant ou accentuant certaines pathologies. C’est l’effet domino.
Les conséquences selon les types de population
Chez l’homme
Prenons un exemple : exposition aux perturbateurs endocriniens → propriétés œstrogéniques → diminution du taux de testostérone et des hormones androgènes → diminution de concentration des spermatozoïdes → sperme altéré, capacité de fécondation des ovules diminuée → infertilité → demandes de procréation assistée en forte hausse.
Les perturbateurs endocriniens sont par ailleurs suspectés d’être à l’origine de cancers hormono-dépendants chez l’homme (testicule, prostate, reins, thyroïde).
Chez les petits garçons
Des malformations génitales type cryptorchidie sont également suspectées. Ces 20 dernières années, nombre d’études ont mis en évidence un accroissement de la fréquence de pathologies touchant notamment les organes de reproduction (malformation ou altération de leurs fonctions). Une baisse significative de la fertilité est également mise en avant.
Chez les femmes, jeunes ou petites filles
Une exposition chronique aux perturbateurs endocriniens serait la cause d’une augmentation de :
– cancers hormono-dépendants (sein, utérus, lymphomes, reins, thyroïde),
– puberté et ménopause précoces,
– endométriose,
– anomalies ovariennes,
– perturbation de la fonction ovarienne et infertilité.
Les spécialistes observent notamment une prévalence de pubertés précoces chez les petites filles qui, dès 8 ans, se retrouvent formées et réglées alors qu’à cet âge, leur maturation intellectuelle et émotionnelle n’a pas suivi ces transformations physiologiques.
Chez les enfants
Les perturbateurs endocriniens seraient responsables de :
– divers troubles cognitifs (déficit de l’attention) et comportementaux (hyperactivité),
– perturbation ou altération du système immunitaire,
– prématurité et faible poids de naissance,
– troubles du développement du système nerveux, dus notamment à une perturbation du fonctionnement thyroïdien,
– augmentation des cas d’autisme (due à une forte exposition aux métaux lourds).
Pour l’ensemble de la population
En définitive, une exposition chronique aux perturbateurs endocriniens peut interférer plus ou moins directement. Différents systèmes sont concernés : endocrinien, mais aussi nerveux, autonome, digestif ou entérique. Parmi ces dommages collatéraux, notons les troubles du métabolisme, entraînant obésité et pathologies associées, notamment du diabète de type 2.
Comment faire face à l’exposition des perturbateurs endocriniens ?
Une menace omniprésente
Le plus perturbant est le caractère ubiquitaire de l’exposition des perturbateurs endocriniens. Ils sont omniprésents, leurs sources sont nombreuses, directes ou indirectes, leur origine naturelle ou artificielle. On en trouve partout, dans l’air, l’eau, les sols, les aliments, les médicaments, les cosmétiques, les jouets pour enfants, les vêtements, l’ameublement, etc.
Le Dr Maria Neira, Directeur du département santé publique et environnement de l’OMS, est ferme : « Nous devons mener d’urgence davantage de recherches, afin de mieux connaître les conséquences sanitaires et environnementales des perturbateurs endocriniens. »
Nos conseils pratiques face aux perturbateurs endocriniens
En attendant, des précautions peuvent-être prises pour limiter ces expositions au quotidien.
– Limiter sa consommation de plats industriels :
‣ Les produits ultra-transformés peuvent contenir des perturbateurs endocriniens.
‣ Ils sont le plus souvent conditionnés à chaud dans des contenants en plastique.
– Préférer utiliser des contenants autres qu’en plastique (verre, porcelaine, inox…) :
‣ Si vous devez faire réchauffer un plat préparé au micro-ondes.
‣ Éviter de verser un aliment ou un plat chaud dans un contenant en plastique, ou bien attendre qu’il refroidisse. Éviter également de consommer des boissons chaudes dans un gobelet ou un verre en plastique.
– Privilégier une cuisine maison, à base de produits bruts et/ou frais:
‣ Afin d’éviter les emballages plastiques, les boîtes de conserve et leurs revêtements.
– Éviter de surconsommer :
‣ Des produits à base de soja, qui contient naturellement des perturbateurs endocriniens,
‣ Des gros poissons gras, ainsi que les œufs et les abats issus d’animaux élevés en conventionnel.
– Si vos fruits et légumes ne sont pas bio :
‣ Les frotter sous l’eau avec une brosse spéciale, afin d’éliminer a minima les traces de pesticides.
– Dans la mesure du possible :
‣ Consommer des fruits et légumes issus de l’agriculture biologique et, parce qu’ils contiennent moins de traitements fongiques (stockage et conservation), des fruits et légumes de saison, locaux et frais,
‣ Acheter vos produits bruts en vrac, afin d’éviter les emballages plastiques.
Très bel article. Bravo.
Merci Anthony.
Article très complet, malheureusement très anxiogène mais finalement les mesures pour éviter les pertubateurs endocriniens sont aussi celles pour une meilleurs hygiène de vie (cuisine fait maison, produits bio…) . Merci !